Le proces de Bordeaux

 

 

 

            La tragédie d'Oradour se poursuit en janvier 1953 par le procès de Bordeaux qui porte le titre impersonnel d' "affaire Kahn et consorts". Le capitaine Kahn était l'un des officiers qui orchestra la tuerie. Il s'agit de juger les officiers et les soldats de la division "Das Reich" qui ont perpétré le massacre.

Le greffier débite la liste des forfaits, plus de 600 victimes, dont seulement 52 ont pu être identifiées, les autres, éclatées par la mitraille, dévorées par le feu n'étaient plus que magma informe. Les noms de cette liste ont pour mention " Mort pour la France".

 

            Sur le banc de l'accusation ne se trouvent que vingt et un accusés sur la quelque centaine de soldats qui ont déferlé sur le village martyr. Vingt et un comparants ayant appartenu au premier bataillon de la division "Das Reich" division qui a drainé dans son sillage des traces sanglantes en Russie, avant de poursuivre son périple d'incendies, de fusillade et de pendaisons à partir de la région de Montauban. Vingt et un accusés alors qu'en 1953, la division qui avait participé à la tuerie d'Oradour compte soixante six survivants. Vingt et un accusés parmi lesquels sept allemands maintenus en prison depuis la fin de la guerre… et quatorze alsaciens qui, interrogés par les officiers alliés en 1945, avaient évoqué les péripéties du massacre d'Oradour. Leurs déclarations avaient été enregistrées, ils avaient été considérés comme témoins, les voici réunis aujourd'hui à titre de prévenus.

           

Le chef de la division, le général Lammerding, avait reçu mission du maréchal von Rundstedt, chef du commandement suprême des armées allemandes du front de l’Ouest, de faire mouvement vers la Normandie, tout en prêtant main forte aux unités de la Wehrmacht du Sud-Ouest et du Massif central " pour nettoyer ces régions des bandes communistes en frappant durablement l’esprit des populations et en agissant sans aucun ménagement".

 

En 1953, au procès de Bordeaux, dès le début de l’audience, le président de la cours d’appel et le commissaire du gouvernement avaient précisé les attendus d’un procès rendu possible, presque neuf ans après les faits, par un rajout, en septembre 1948, d’une loi qui introduit la notion de « responsabilité collective », en violant doublement les règles du droit français. Elle exige donc que les accusés peuvent montrer la preuve de leur non-culpabilité. Loi votée à la sauvette et adoptée à l’unanimité.

 

Acrobatie juridique rétroactive  qui permet de retrouver côte à côte, sur le banc des accusés, des Allemands et des Alsaciens  ayant appartenu à la division « Das Reich », et qu’aggrave pour les Alsaciens un arrêt de la cours de cassation  d’août 1950 qui refuse de disjoindre les cas des Allemands et des Alsaciens.

 

Les sept Allemands, incarcérés depuis 1946, appartenaient à l’armée de leur pays, ils seront jugés par la discipline obligée des armées. Ils sont en face d’un tribunal militaire, ils risquent gros, mais leur cas est clair.

 

En ce qui concerne les Alsaciens, on n’ignore pas que, leur province annexée par le régime nazi, la nationalité allemande leur ayant été imposée, ils ont subi la dure loi de l’incorporation forcée. Conditionnés dans les Jeunesses hitlériennes, puis à l’Ecole de germanisation du Reich, entraînés par des officiers pratiquant le rude « drill » (exercice militaire) prussien , ils furent pris dans un terrible engrenage psychologique et étaient terrorisés à l’idée des représailles que subiraient leurs familles en cas de désertion. Ainsi s’était  imposé à eux la notion d’obéissance aveugle. La plupart des incorporés de force furent versés dans la Wehrmacht.

 

Sur les quatorze Alsaciens mis en accusation en 1953 au procès de Bordeaux, douze avaient été sans conteste incorporés de force, à l’âge de 17 et 18 ans.  Ces « douze enfants de l’Alsace martyre » sont rejoints par un homme, emprisonné depuis la fin de la guerre, qui a été le seul à reconnaître, au cours du procès, qu’il avait participé au massacre. Et enfin, le quatorzième homme, chef du groupe lors du massacre d’Oradour, reconnaît s’être engagé volontairement et sera jugé comme traitre à sa patrie.